L’existence d’un don manuel peut être déduite de la teneur d’une lettre simple sous seing privé, sans formalisme particulier et qui peut réduire à néant des dispositions testamentaires antérieures contraires (Cour d’appel de Paris, 14 avril 2021, n° 18/27392).

La Cour d’appel de Paris a infirmé un jugement par lequel Tribunal de grande instance avait rejeté la présence d’un don manuel d’un ensemble de tableaux de maîtres au motif que l’intimée se disant bénéficiaire de ce don, s’était prévalue à titre principal d’un testament portant sur ces biens et avait donc admis “implicitement mais nécessairement” qu’elle n’était pas propriétaire des biens revendiqués du vivant du défunt et donc qu’il n’y a pas eu de don manuel à son benefice et qu’elle ne pouvait donc soutenir à titre subsidiaire l’existence d’un don manuel

 

Sur l’absence de contradiction, résultant du caractère subsidiaire de la demande

La Cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement, en estimant que la demande de l’intéressée portant sur la reconnaissance d’un don manuel revêtant un caractère subsidiaire, “il est permis aux parties à l'instance de développer des raisonnements juridiques alternatifs et d'articuler des règles de droit contradictoires ou exclusives l'une de l'autre dès lors qu'elles établissent entre elles un lien de principal à subsidiaire et dès lors que les positions contraires ne sont pas adoptées au cours de l'instance dans des conditions qui induisent en erreur l'adversaire sur les intentions du demandeur.”

Et ce, au motif que “devant la Cour, l’intimée soutient que sa demande au titre du don manuel revêtait un caractère subsidiaire, ce qui exclut toute contradiction avec le principal.”

Soit une solution parfaitement logique et cohérente.

 

Au fond, sur la preuve du don manuel des oeuvres

La Cour observe que l’intimée, appelante incidente, “se prévaut d'une lettre que lui a addressée” le défunt de son vivant, dans laquelle il dit notamment « Je te laisse l'ensemble de mes toiles. Si tu étais dans le besoin, vends-les pour te sauver

La Cour observe que la lettre, même sous seing privé, a été authentifiée par l'expert judiciaire près la Cour d'Appel de Paris, qui certifie que « la signature qui apparaît sur le document en question provient bien de la main du défunt”.

Ce qui suffit pour la Cour pour en déduire que “la lettre a le caractère d'une reconnaissance de l'existence du don manuel portant sur «l'ensemble de mes toiles », soit sur la propriété des tableaux” du de cujus et "sur la part” de ce dernier “dans la propriété indivise des tableaux acquis conjointement par lui et sa compagne au cours de leur vie commune”.

 

Sur le maintien des oeuvres au domicile commun du donateur et de la donataire

La Cour observe enfin que “les tableaux sont restés dans le domicile du donateur qui était aussi celui de la donataire”. Celle-ci étant “possesseur des biens litigieux par ce don manuel, bénéficie d'une présomption de propriété.”

Il y a donc lieu de l'en déclarer propriétaire et d'en autoriser la restitution à son bénéfice.

Une telle solution est conforme à la jurisprudence.

Ainsi, « c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a retenu que le fait que les ouvrages litigieux aient été laissés au domicile du donateur n'excluait pas une tradition qui ne supposait pas nécessairement un transfert matériel de l'objet mais consistait en une mainmise par le donataire sur l'objet assurant la dépossession du donateur et l'irrévocabilité de la donation » (Cass civ 1ère, 31 octobre 2007, n° 05-15758)

En la présente espèce, le donateur et la donataire avaient le même domicile.

 

Sur l’application des dispositions du Code civil et de la jurisprudence

Cette solution fait application des dispositions de l’article 2276 du code civil qui dispose que la possession suffit à présumer la propriété.

Conformément à ces dispositions, la jurisprudence estime régulièrement que le possesseur qui prétend avoir reçu un bien en vertu d’un don manuel bénéficie d’une présomption de propriété.

Il est rappelé que le don manuel et son acceptation échappe à tout formalisme et peut être simplement tacite et que le possesseur qui prétend avoir reçu une chose en don manuel bénéficie d'une présomption et qu'il appartient à celui qui revendique la chose de rapporter la preuve de l'absence d'un tel don ou de l'absence de réunion des conditions de régularité de la possession; que c'est sans inverser la charge de la preuve qu'après avoir constaté que Mme Y... était en possession des originaux des biens litigieux, la cour d'appel a souverainement estimé que les consorts X... n'apportaient aucun élément de preuve de nature à établir que la possession dont se prévalait Mme Y... ne réunissait pas les conditions légales pour être efficace…, la cour d'appel a légalement justifié sa décision (Cass civ 1, 18 décembre 2013, n° 12-28773)

Au présent cas d’espèce, le don manuel n’était pas seulement tacite, puisqu’il fut reconnu par une lettre du donateur.

Le don manuel ne nécessitant pas de formalités particulières et tous les biens meubles corporels pouvant faire l'objet d'un don manuel, la Cour en a déduit que l’intimée a bénéficié du don manuel des tableaux par le de cujus.

 

Sur l’absence de contradiction avec des dispositions testamentaires antérieures

L’appelant au principal objectait que le don manuel que revendiquait l’intimée aurait été incompatible avec les legs de la nue-propriété des tableaux consentis par dernières volontés du défunt testateur, à diverses fondations reconnues d’utilité publique.

Mais il oubliait simplement que le testateur avait bien changé d’avis postérieurement à la date de son testament, comme en l’espèce et a décidé, de sa propre volonté et par sa pleine faculté, de disposer de ses biens comme il l’entendait et de donner à l’intimée légataire ses propres tableaux et sa part des tableaux acquis en commun.

En conséquence, la Cour a infirmé le jugement entrepris en ce que ce dernier avait écarté la présence du don manuel des tableaux litigieux à l’intimée, appelante incidente, et statuant à nouveau, l’en a déclarée propriétaire.

Les tableaux s’en sont trouvés écartés de la succession, le testament écrit antérieur, qu’il ait été authentique, olographe ou mystique, perdant tout effet de droit sur les œuvres en cause.

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